Indemnité compensatoire de préavis et crédit-temps : sur base d’un temps plein ?

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation s’écarte de sa jurisprudence et estime qu’en cas de licenciement d’un travailleur en crédit-temps pour prendre soin d’un enfant de moins de 8 ans, l’indemnité doit être calculée sur base d’un temps plein.


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Dans un arrêt du 22 juin 2020, la Cour de cassation a jugé qu’en cas de licenciement d’un travailleur pendant une période de crédit-temps avec motif ‘soin d’un enfant de moins de 8 ans’ avec indemnité compensatoire de préavis, celle-ci (et l’indemnité de protection éventuelle) devait être calculée en tenant compte de la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit s’il n’avait pas diminué ses prestations, soit, en principe, sur la base de sa rémunération à temps plein.

Elle s’écarte donc de sa jurisprudence actuelle (qui avait été pourtant confirmée par la Cour constitutionnelle).

1. Règles européennes

Le principe général est l’égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un même travail ou pour un travail de même valeur (article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice européenne qu’il peut y avoir discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l’application d’une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d’un sexe par rapport à l’autre.

Une telle mesure n’est compatible avec le principe d’égalité de rémunération qu’à la condition que la différence de traitement soit justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

2. Règles en matière de congé parental

Dans un arrêt relatif au congé parental, la Cour de justice européenne avait considéré que lorsqu’un travailleur est licencié au moment où il bénéficie d’un congé parental à temps partiel, ce travailleur était désavantagé par rapport à un travailleur licencié pendant une activité exercée à temps plein.

Elle avait jugé que lorsqu’un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes choisissent de bénéficier d’un congé parental à temps partiel, la réglementation nationale n’est pas compatible avec le principe de l’égalité de traitement (sauf s’il était justifiée par des critères objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe).

Suite à cet arrêt, la Belgique avait modifié sa législation en matière de congé parental (loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, version consolidée, art. 105 §3) : si le travailleur est immédiatement licencié avec indemnité compensatoire de préavis, le montant de l’indemnité est calculé en tenant compte de la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit s’il n’avait pas diminué ses prestations, soit, en principe, sur la base de sa rémunération à temps plein.

3. Règles en matière de crédit-temps

3.1. Jurisprudence actuelle

La rémunération à prendre en compte pour le montant de l’indemnité compensatoire de préavis diffère en fonction de la forme du congé :

  • en cas de suspension totale, le montant est calculé sur la base du salaire que le travailleur aurait reçu s’il n’avait pas pris de congé à temps plein ;
  • en cas de réduction des prestations, le montant est calculé sur base de la rémunération à laquelle lui donnent droit ses prestations de travail à temps partiel.

Cette thèse s’est retrouvée maintes fois dans la jurisprudence et a été confirmée par un arrêt du 11 décembre 2006 de la Cour de Cassation : « la rémunération en cours entre en ligne de compte, c’est-à-dire la rémunération à laquelle le travailleur a droit effectivement à la fin du contrat de travail. Le fait que le travailleur à la fin d’une période de prestations réduites a, en principe le droit de reprendre le travail dans un régime de prestations complètes et qu’il en raison du licenciement perd cette possibilité, n’y porte pas atteinte ».

Le 10 novembre 2011, la Cour constitutionnelle a également décidé qu’il n’était pas question de violation du principe d’égalité si pour la détermination du montant de l’indemnité compensatoire de préavis, l’employeur utilise la rémunération correspondant aux prestations réduites. La Cour constitutionnelle a aussi jugé qu’en ce qui concerne le calcul de la rémunération en cours pour déterminer l’indemnité de congé due par l’employeur en cas de licenciement, la différence de traitement entre le travailleur qui bénéficie d’un congé parental et le travailleur qui a réduit ses prestations de travail dans le cadre d’une autre forme de diminution de carrière ou de crédit-temps était raisonnablement justifiée (C.C., n° 90/2012, 12 juillet 2012 et n° 172/2019, 7 novembre 2019, R.G. n° 7177).

S'il y a rupture immédiate du contrat (sans que le préavis soit presté), l'indemnité de rupture est donc équivalente à la durée du délai de préavis (calculé comme si le travailleur n'avait pas réduit ses prestations) et en fonction de la dernière rémunération (c'est-à-dire sur la base de la rémunération due pour prestations réduites en cas de congé à temps partiel).

3.2. Nouvel arrêt de la Cour de cassation

Un employeur licencie une travailleuse sous contrat à durée indéterminée et à temps plein, au moment où cette dernière avait réduit ses prestations à mi-temps pour une durée de trois ans dans le cadre d’un crédit-temps avec motif ‘soin d’un enfant de moins de 8 ans’.

Selon la Cour de cassation, les statistiques démontrent que ce sont généralement les femmes qui prennent un crédit-temps pour s’occuper des enfants.

Par conséquent, elle estime que, même si la règle qui prévoit que le calcul de l’indemnité s’effectue sur base des prestations réduites est formulée de manière neutre, elle désavantage les femmes (au vu des statistiques) et est donc discriminatoire de manière indirecte.

La Cour rejette l’argument selon lequel le droit au crédit-temps est ouvert tant aux hommes qu’aux femmes. Elle l’estime insuffisant pour justifier cette différence de traitement.

La Cour de cassation rompt de cette manière avec sa jurisprudence antérieure et s’aligne ainsi sur la jurisprudence européenne.

Reste à voir si les juridictions inférieures suivront le nouvel avis de la Cour de cassation ou celui de la Cour constitutionnelle qui ne voyait pas de discrimination…

Source : C. cass., 22 juin 2020, n° S.19.0031.F.